Comment absorber une partie du gaz carbonique?
Au large des îles Kerguelen, où les eaux de surface sont naturellement enrichies en fer, le phytoplancton absorbe et stocke beaucoup plus de dioxyde de carbone que lors des fertilisations artificielles.
COMMENT absorber une partie du gaz carbonique rejeté en excès dans l'atmosphère par les activités humaines et limiter ainsi le réchauffement climatique ? Une des solutions envisagées depuis le début des années 1990 consiste à balancer du fer dans les océans sous forme de microparticules ou de sulfate pour faire pousser le phytoplancton dans les zones où il n'y en a pas. Ces micro-organismes marins, qui ont besoin du fer pour la photosynthèse, prélèvent aussi le CO2 dissous dans l'eau pour construire leur squelette qui, in fine, tombe dans les fonds marins où il est stocké et se transforme en roches sédimentaires. Mais à la différence des arbres, dont la croissance profite directement de l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère, le phytoplancton a besoin de plus de fer pour en tirer parti. Une étude réalisée au large des îles Kerguelen par une équipe de chercheurs français vient toutefois de montrer que la fertilisation chimique des océans par le fer est nettement moins efficace que la fertilisation naturelle (1). « Les phénomènes naturels sont trop complexes pour pouvoir être reproduits par l'homme », estime Stéphane Blain, CNRS-université de Méditerranée (Marseille), qui a dirigé le travail.
Un tiers de la surface des océans
La fertilisation a été préconisée au départ par John Martin, un océanographe californien décédé en 1993. Il a été le premier à montrer que « la croissance du phytoplancton dans des zones riches en sels nutritifs est limitée par une carence en fer ». Jusqu'alors on pensait que le principal rôle limitatif était joué par les nitrates. La perspective est apparue d'autant plus séduisante qu'un tiers de la surface des océans de la planète - l'océan Austral, le Pacifique est-équatorial et le Pacifique nord - pourrait être concerné par la fertilisation en fer. Ces régions constituent des « zones paradoxales », selon l'expression de Paul Tréguer, professeur à l'Institut universitaire européen de la mer de Brest. Très riches en nutriments, elles sont pourtant dépourvues de plancton car, très éloignées des continents, elles ne bénéficient pas des dépôts de poussières chargées en fer que charrient les vents...
Pas moins de douze expériences de fertilisation de l'océan ont été conduites entre 1993 et 2005 à mésoéchelle (10 à 100 km) dans des régions polaires et tropicales « paradoxales ». Toutes ont montré que le phytoplancton réagit effectivement à l'enrichissement en fer mais qu'il reste encore beaucoup d'incertitudes sur les phénomènes biochimiques enclenchés artificiellement, notamment sur les quantités de carbone transférées dans les profondeurs (2).
Floraison de phytoplancton
C'est justement sur cette question cruciale que l'étude pilotée par Stéphane Blain apporte du nouveau. Son équipe a en effet mesuré l'activité du phytoplancton dans les eaux du plateau bordant les îles Kerguelen. Cette zone de l'océan Austral est tout à fait particulière car l'effet conjugué des marées et la présence de l'île font remonter tout au long de l'année du fer en surface, dans la couche comprise entre 0 et 100 mètres. Cette fertilisation naturelle à grande échelle provoque une floraison de phytoplancton, visible sur les images satellites.
Embarqués pendant quarante jours à bord du Marion-Dufresne, le navire de recherche océanographique français qui assure le ravitaillement des îles des Terres australes françaises, les cinquante chercheurs ont effectué d'innombrables prélèvements et analyses. En comparant leurs résultats à ceux enregistrés au cours des expériences d'enrichissement de carbone à mésoéchelle (FeAXs), ils ont constaté que la fertilisation naturelle en fer permet de stocker dix à cent fois plus de carbone. Au large des Kerguelen, le phytoplancton réagit aussi à des quantités de fer beaucoup moins importantes que lors des expériences.
La différence est considérable. Le fer sous sa forme chimique tel qu'il est produit par l'homme n'a pas grand-chose à voir avec le fer naturellement présent dans les océans, qu'il soit apporté par les vents ou remis à la surface par les courants. Le fer « naturel » a des formes très diverses et il est plus facilement assimilable par le phytoplancton. Il est aussi associé à d'autres éléments qui dopent aussi l'activité des micro-algues. « Lors des fertilisations artificielles, 90 % du fer déversé dans la mer est perdu », souligne Stéphane Blain.
À la lumière de ces résultats, il est évident que la perspective de réduire le taux de gaz carbonique dans l'atmosphère en enrichissant l'océan en fer a du plomb dans l'aile. Mais ils montrent aussi que, dans des conditions naturellement favorables, l'activité du phytoplancton a sans doute « des effets plus importants sur les concentrations de CO2 dans l'atmosphère qu'on le pensait jusqu'alors ». Les modèles climatiques du passé devront aussi en tenir compte.
(1) Nature, 26 avril 2007. (2) Science, 2 février 2007.
Libellés : réchauffement climatique
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