Le chimpanzé est il une personne?

C'est une question insolite que va devoir trancher la justice autrichienne: le chimpanzé, qui partage avec les humains plus de 95% de son patrimoine génétique, est-il une personne? Et, à ce titre, peut-il être considéré comme une entité juridique dotée de droits spécifiques?

Derrière son apparence saugrenue, l'affaire est suivie de près par les primatologues, et plus généralement par les défenseurs des droits des animaux, car elle pourrait esquisser un début de jurisprudence en matière de droits fondamentaux à accorder aux singes les plus évolués.

L'affaire a été lancée en début d'année par une association autrichienne de défense des droits des animaux, l'Association contre les élevages industriels d'animaux, qui s'était émue du sort de deux chimpanzés, Hiasl et Rosi, après la faillite de la réserve animale qui les accueillait depuis un quart de siècle.

Craignant que les deux primates ne se retrouvent sans abri, l'association a fait appel à la générosité de donateurs pour subvenir aux besoins de Hiasl et Rosi, dont les factures alimentaires et vétérinaires s'élèvent à environ 5.000 euros par mois. Des donateurs se sont effectivement manifestés, mais une difficulté juridique est apparue: en vertu du droit autrichien, seule une personne peut être bénéficiaire de donations individuelles.

Il y avait aussi la solution d'une fondation qui récolterait les dons destinés à Hiasl et Rosi, mais cela n'aurait pas empêché une vente des deux singes et leur éventuel départ d'Autriche, pays où ils sont actuellement protégés par des lois très strictes contre les traitements cruels infligés aux animaux.

Les militants de l'association ont donc imaginé d'engager une procédure judiciaire devant les tribunaux autrichiens pour que Hiasl puisse être légalement déclaré comme étant une "personne". Le chimpanzé mâle de 26 ans, qui peut vivre jusqu'à 60 ans en captivité, pourrait ainsi bénéficier d'un tuteur veillant sur ses intérêts et d'un statut juridique lui permettant de recevoir des donations.

"Notre principal argument est de dire que Hiasl est une personne et qu'il a des droits légaux", a souligné Me Eberhart Theuer, avocat de l'association basée à Vienne. "Nous voulons parler du droit de vivre, du droit de ne pas être torturé, du droit à la liberté sous certaines conditions. Il n'est pas question ici du droit de vote".

"Si nous pouvons obtenir que Hiasl soit déclaré une personne, il aurait le droit à la propriété. Ainsi, si les gens souhaitent lui faire des donations, il aurait le droit de les recevoir", a expliqué Me Theuer, qui s'est dit prêt, si nécessaire, à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de... l'Homme à Strasbourg.

Pour l'instant, la justice autrichienne a refusé de se prononcer sur le fond. Lors du jugement rendu le 24 avril en première instance, la juge Barbara Bart a rejeté la demande de mise sous tutelle, estimant que Hiasl ne remplissait pas deux critères-clés: l'existence d'un handicap mental ou d'une urgence.

Martin Balluch, le scientifique qui dirige l'Association contre les élevages industriels d'animaux, a fait appel de ce jugement devant un tribunal fédéral, qui devra se prononcer sur la question du tutorat. La date du procès en appel n'a pas encore été fixée.

"Les chimpanzés partagent 99,4% de leur ADN avec les humains", argumente M. Balluch. "D'accord, ce ne sont pas des homo sapiens. Mais ils ne sont évidemment pas non plus des choses, seule autre option contenue dans la loi".

Tous les défenseurs des droits des animaux ne sont pas prêts à suivre cette association dans son argumentaire. Michael Antolini, président de la Société autrichienne de prévention de la cruauté faite aux animaux, juge le débat absurde. "Je ne veux pas passer pour un imbécile", a-t-il lancé, en ironisant sur la possibilité à terme pour un singe de zoo de demander, par exemple, des droits sur les photos prises de lui...